Le Matin Dimanche – «Je n’ai jamais eu peur de dire non»

Chanson : Entre son album, paru en septembre, et ses prochains concerts romands, Nolwenn Leroy parle de l’importance qu’il y a à assumer son identité artistique.

par : Yann Zitouni

Le dernier album de Nol­wenn Leroy s’appelle «Gemme». Comme cette pierre qu’on extrait des profondeurs de la terre et qui, parvenue à la surface, capture les rayons du soleil pour en faire des étincelles.

Il est facile d’associer cette image à celle d’un autre joyau, autrement plus précieux, qui illumine depuis quelques mois la vie de la chanteuse française: le fils qu’elle vient d’avoir avec l’ancien tennisman Arnaud Clément. Même si ce dernier album a été enregistré durant sa grossesse, même si elle dit avoir été accompagnée par son enfant durant chaque jour passé en studio, «Gemme» ne fait pas de référence explicite à cette maternité. Après «O Filles de l’Eau», triple album de platine paru en 2012, le sixième album de Nolwenn Leroy reste pudique et la notion d’intimité s’y exprime plutôt au travers de choix artistiques parfois risqués, toujours assumés. Ainsi sa décision d’enregistrer une chanson qui parle de l’Ankou, un personnage de la mythologie celtique chargé de collecter les âmes des morts et de les accompagner vers l’au-delà. «L’Ankou, c’est à peu de chose près la mort. Mais il y a chez les Celtes une définition de la mort qui est assez proche de celle qu’on en a au Mexique ou à La Nouvelle-Orléans. La mort fait partie de la vie, on l’accepte beaucoup mieux que dans d’autres cultures. Dans ma chanson, il n’y a rien de plombant, tout ceci est vu à travers le filtre des traditions bretonnes et celtiques.»

Un côté sombre
Comme pour appuyer son propos, Nol­wenn Leroy interprète sur son dernier album deux textes d’Edgar Allan Poe. Depuis longtemps, elle est attirée par le talent avec lequel ce poète américain appréhende les choses qui nous font peur et nous tourmentent.

Elle estime que la solitude ou la mort sont des notions qu’on craint moins si on arrive à les apprivoiser et à les dédramatiser. «Depuis mon plus jeune âge, je suis fascinée par les poètes sombres. Edgar Poe est évidemment l’un d’entre eux mais je pense aussi à des gens tels que Tim Burton. J’ai toujours aimé me faire peur parce que je pense que c’est sain. Et la mélancolie est pour moi une douce tristesse qu’il ne faut pas craindre. Lorsque je vivais aux États-Unis, on me disait tout le temps «Smile, smile!» parce qu’ils sont convaincus qu’il faut sourire et qu’il est indispensable de prouver en toutes circonstances qu’on est heureux. Ça me rendait dingue, mais c’est dans leur culture, il faut sourire quoiqu’il arrive. Or pour moi, le fait de sourire en permanence cache forcément quelque chose, je trouve toujours cela suspect.»

Pourtant, Nolwenn Leroy s’est précisément orientée vers un milieu professionnel dans lequel le sourire est à la base de toute interaction. Qu’il soit sincère ou forcé, dirigé vers les caméras ou vers la personne qui va signer notre prochain contrat, on doit être prêt à tout moment à montrer l’étendue de son empathie.

Au-delà de son métier de chanteuse, elle est aussi engagée très sérieusement en faveur de nombreuses causes humanitaires, encore dans un domaine où il faut être en représentation permanente. Incapable de s’y faire, elle a réussi à imposer sa façon de faire. «Je regarde parfois des images de mes débuts et je constate que j’étais l’anti-candidate parfaite parce que je venais du Conservatoire, je poursuivais des études de droit. J’étais très sérieuse, très premier degré et les gens devaient trouver à cette époque que j’étais dans un autre délire, ça a certainement créé une distance autour de moi. Mais en même temps je me dis que si j’ai remporté la Star Academy en 2002, c’est sans doute parce que le public m’a comprise. Aller à l’encontre de ce qu’on est réellement, parfois, ça peut nous être défavorable. Et être différent, ça veut dire qu’on peut se démarquer et se distinguer.»

Après sa consécration en direct devant plus de onze millions de téléspectateurs, celle qui s’appelle encore Nol­wenn pense rapidement à s’extraire de cette imposante machine médiatique pour se concentrer sur son parcours artistique, de façon à en tracer la trajectoire telle qu’elle l’imagine.

Pour la réalisation de son deuxième album, elle s’associe à Laurent Voulzy, en qui elle voit un artisan et un orfèvre. «J’ai pu reprendre les choses en main et je n’ai jamais eu peur de dire non. Lorsqu’un jeune chanteur prend des décisions claires sur sa carrière, on dit qu’il est pro et intelligent. Mais lorsqu’une artiste dit clairement comment elle veut travailler et, surtout, ce qu’elle ne veut pas, elle passe pour une pénible ou une diva», dit celle qui n’a toujours pas de manager et qui préfère assumer personnellement, voire frontalement, ses choix. «On m’a beaucoup reproché mon intransigeance à mes débuts, lorsque je refusais de chanter aux côtés d’un artiste plus connu mais qui, artistiquement, ne correspondait pas à la direction que je recherchais. Heureusement, les gens du métier me comprennent mieux aujourd’hui.»

Mauvais conseils
Les gens du métier ont-ils toujours été clairvoyants? Au moment de commenter l’album qu’elle a publié en septembre dernier, ils étaient quelques-uns à se concentrer sur le geste que Laurent Baffie a eu sur un plateau de télévision. Assis à côté de Nolwenn Leroy, l’humoriste a remonté deux centimètres de sa robe «pour faire de l’audience».

Selon elle, bien que le sujet reste très sensible, le geste de Baffie ne mérite pas la polémique qu’il a déclenchée. Elle est fière de le compter parmi ses bons amis. «À côté de ma passion pour le fantastique et le gothique, je suis aussi attirée par les personnages complexes. Qu’il s’agisse de Baffie, Olivier de Kersauson ou Jean-Louis Murat avec lequel j’ai d’ailleurs travaillé, on m’a, à chaque fois, mise en garde en me disant de ne pas y aller parce que ça allait mal se passer. Finalement, je m’entends souvent très bien avec ceux qui ont la réputation de n’aimer personne.»

Pour réaliser son sixième album, Nol­wenn Leroy s’est installée une nouvelle fois dans le studio du producteur britannique Jon Kelly, déjà réalisateur de ses deux précédents albums mais qui a aussi collaboré avec Tori Amos, Paul McCartney et Kate Bush. Au-delà de l’envie de prolonger une collaboration fructueuse et de s’appuyer sur les liens culturels qui unissent sa terre, la Bretagne, et la Grande-Bretagne, elle a aussi pu travailler dans un pays où la frontière entre musique populaire et musique branchée est très perméable. À Londres, le fait de s’adresser au grand public n’est pas honteux, mais ce n’est pas une chose évidente en France et, en ayant été révélée à la «Star Ac’», en figurant au classement des personnalités préférées des Français, Nolwenn Leroy a pu s’en apercevoir. «Aujourd’hui, j’en souffre beaucoup moins. De nombreuses portes se sont ouvertes, parce qu’il y a un gros travail qui a été fourni en matière d’écriture et de composition, parce que j’ai été persévérante. Des émissions comme «The Voice» sont aujourd’hui bienveillantes envers les artistes, les professionnels de ce genre d’émission ont beaucoup appris et ont travaillé pour en faire un très beau programme de divertissement. Pour nous qui avons été révélés à la télévision il y a presque vingt ans, il y avait bien sûr cette énorme popularité mais on avait le sentiment de devoir prouver à certaines personnes que nous étions légitimes. Et il a fallu beaucoup travailler et parfois faire preuve d’intransigeance pour y parvenir. En France, j’ai malheureusement l’impression que la popularité est suspecte et qu’il est antinomique d’être branché et populaire. C’est dommage.» 

À voir et à écouter
En concert: Vendredi 4 mai, Genève (Théâtre du Léman)
Vendredi 29 juin, Payerne (Red Pigs Festival)
Dernier album: «Gemme» (Universal)

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